Recettes médiévales
Nicole Hanot
Mise en ligne 03/07/2012 - ajout 12/07/2017 : texte de Lætitia Backaert
À l'occasion des weekends gastronomiques organisés par le Musée et la Bibliothèque de la Gourmandise et basés exclusivement sur des recettes médiévales, voici quelques informations sommaires sur cette cuisine et l'occasion de tordre le cou à quelques idées préconçues.
Sources
Notre connaissance de la cuisine médiévale est livresque : dès le XIIIe siècle - on ne possède qu'un seul ouvrage antérieur -, des ouvrages livrent les recettes du temps, parfois associées à des données médicales ou aux règles de gestion de la maison. On relève ainsi :
XIIIe siècle | ||
Kitâb al-Tabîkh fi'l-Maghrib wa'l-Andalus fi'asr al-Muwahhidin |
Afrique du Nord et Andalousie |
543 recettes |
Fudalat al-Khiwan de Ibn Razin Tujibi | entre 1238 et 1266, Andalousie | 450 recettes |
Deux « Manuscrits anglo-normands » | 40 recettes | |
Manuscrit de Sion | 133 recettes | |
Enseingnemenz | France | |
XIVe siècle |
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Libre de Sent Sovi |
1324, Catalogne |
222 recettes |
Daz bûch von gûter spîse | entre 1345 et 1354, Allemagne | 101 recettes |
Diz buch sagt von guter Spîse | Allemagne | 69 recettes |
Viandier de Guillaume Tirel |
manuscrit circa 1380, imprimé 1490, France |
145 recettes |
Ancient Cookery |
1381 |
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The Forme of Cury |
manuscrit vers 1390, imprimé en 1780 |
+/- 195 recettes |
Mesnagier de Paris |
rédigé entre juin 1392 et septembre 1394 |
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XVe siècle |
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Du fait de Cuisine de Maître Chiquart |
78 recettes |
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Kochbuch Meister Eberhards | début XVe siècle | 24 recettes |
Registrum coquine de Jean de Bockenheim | vers 1430, Allemagne | 74 recettes |
Libro de arte coquinaria de Maestro Martino | vers 1450, Rome | 267 recettes |
« The Two fifteenth century cookery books » dits Harleian | Angleterre | |
4 « livre de cuisine du XIVe siècle » d'auteurs anonymes | actuelle Italie | |
De honesta voluptate de Bartolomeo Sacchi, dit Battista Platina | vers 1470 | |
Libre del coch de Robert de Nola | vers 1477, imprimé en 1520 à Barcelone |
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Kuchemaistrey | imprimé en 1485, Allemagne | |
XVIe siècle |
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Platine en françoys |
1505, Lyon |
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Een notabel boecxken van cokeryen écrit ou publié par Thomas VanderNoot | vers 1514, Bruxelles | 70 recettes |
Banchetti de Cristoforo da Messisbugo |
1549 | 316 recettes |
Das Kochbuch de Sabina Welserin | 1553 | 205 recettes |
Livre des confitures de Nostradamus | 1555, Lyon | |
Opera de Bartolomeo Scappi | 1570, Venise | plus de 1 000 recettes |
Ein new Kochbuch de Marx Rumpolt | 1581 | plus de 2 000 recettes |
Ein Köstlich new Kochbuch de Anna Wecker | 1598 | |
Ouverture de cuisine de Lancelot de Casteau | écrit en 1585, publié en 1604, Liège | 181 recettes |
Eenen seer schoonen ende excellenten Cocboeck | 1593 | 298 recettes |
Bien que les historiens s'accordent à considérer que le Moyen Âge va du VIe siècle (entre 476 et 512) au XVe siècle (1453 ou 1492) - les dates étant symboliques (fin de l’empire romain d’occident ou vie de Clovis / chute de Constantinople ou débarquement de Christophe Colomb en Amérique) -, il est d'usage de considérer que les ouvrages rédigés au XVIe siècle traitent encore de la cuisine médiévale car relatant des pratiques antérieures à leur écriture.
Des illustrations d'autres ouvrages sont également intéressantes, ainsi celles du Tacuinum sanitatis, manuel médiéval de santé, qui présente nombre d'aliments, d'échoppes alimentaires et de scènes de la vie quotidienne du XIVe siècle.
Tacuinum sanitatis, les aliments humides. Crédit : Sailko.
Notre pratique
Outre quelques mets traditionnels qui perdurent depuis plus de dix siècles dans notre région, comme les œufs au lard frit, les crêpes ou la salade des lords (photo),
nous avons sélectionné des recettes provenant principalement de cinq des ouvrages cités ci-dessus :
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Le Viandier de Guillaume Tirel, dit Taillevent
Ce livre de recettes, dont quatre manuscrits sont conservés soit en France soit au Vatican, a longtemps été attribué à un queux qui fit ses armes dans les cuisines de Jeanne d'Évreux puis travailla pour Philippe de Valois et Charles V avant de devenir premier écuyer de cuisine (l'équivalent d'un premier maître d'hôtel) de Charles VI.
En en 1953, la publication des notes de Paul Aebischer sur le manuscrit de Sion, un manuscrit valaisan retrouvé dans la bibliothèque constituée au XVe et au début du XVIe siècle par Walter Supersaxo, évêque de Sion (d’où l’appellation du manuscrit), oblige à revoir cette attribution. Le Viandier est donc considéré, depuis la 2e moitié du XXe siècle, comme le résultat du travail de divers copistes et l'auteur initial est reste inconnu.
Cet ouvrage fut rédigé à une époque où seuls servaient encore comme référence, tant bien que mal, les copies des recettes d'Apicius. Le Viandier donne les façons de préparer les viandes (au sens premier d'aliment pour l'homme, et incluant donc le poisson par exemple), les sauces, les épices, etc. Nous avons sélectionné porée au lait d'amandes, tourte au jus d'herbes et tourte bourbonnaise.
Première page du viandier de Taillevent... Crédit : W. C. Minor.
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Le Ménagier de Paris
Tout aussi connu des francophones pour sa valeur historique, linguistique que culinaire, le Mesnagier fut écrit par un riche bourgeois parisien désireux d'enseigner à sa toute jeune épouse de 15 ans, qui l'en prie, les devoirs qui vont lui incomber - non seulement la façon de tenir sa maison et de faire la cuisine mais aussi le comportement à adopter en société et... dans le privé -, l'auteur allant jusqu'à prévoir que cette formation sera utile à la jeune femme lors d'un second mariage.
Ce bourgeois érudit se base sur le Viandier et probablement sur un autre ouvrage qui ne fut édité qu'en 1542, le Livre fort excellent de cuisine. Le Ménagier de Paris est sorti de l'oubli grâce à Jérôme Pinchon qui a collationné trois manuscrits : l'un sur vélin (à la Bibliothèque protypographique), l'autre qu'il avait acheté lors de la vente de la collection Huzard et le dernier, cité dans les inventaires de ducs de Bourgogne (à la Bibliothèque royale de Belgique) avant publier l'œuvre en deux tomes, en 1846.
Miniature représentant le bourgeois et son épouse. Crédit : Égoïté.
Nous avons retenu menu de foies et jugiers, arboulastre, pommeaulx, riz engoulé et sauce cameline, minces et orengue de pouchins.
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The Forme of Cury
L'auteur (ou les auteurs) en est (en sont) inconnu(s). Depuis l'édition de 1791, on l'attribue aux « Maitres-cuisiniers du roi Richard II » ; le nombre de recettes varie en fonction des manuscrits examinés. Les rédacteurs connaissaient le Viandier qu'ils citent, mais leur cuisine est davantage influencée par la cuisine italienne que traduit une plus grande proportion de légumes et de fruits et la présence de pâtes.
Page de titre de la publication. Crédit : Superbass.
Nous en proposons macrows, saulge saucisse, cormarye.
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Les « Harleian » (ou Harl) MS. 279 et MS. 4016
Ces manuscrits font partie d'une des principales collections de la British Library et leur nom se réfère à Robert et Edward Harley qui ont rassemblé et vendu au gouvernement britannique plus de 14 000 documents originaux. Ces deux réceptaires ont été édités pour la première fois en 1888. Les recettes y sont classées par catégories et 13 menus de banquets s'y ajoutent. Nous en avons extrait une mousse de fraise pour dessert.
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L'Ouverture de cuisine
L'Ouverture de cuisine de Lancelot de Casteau, quant à elle, représente la somme des connaissances d'un Montois qui fut maitre-cuisinier de trois princes-évêques successifs de la Principauté de Liège. L'ouvrage, publié en 1604, était connu pour avoir été cité par le baron Hilarion-Noël de Villenfagne d'Ingihoul, érudit bibliophile liégeois qui s'installa à Engihoul (actuel lieu-dit d'Engis, tout près Hermalle-sous-Huy) et y monta une imprimerie. Le livre cependant avait disparu ; il ne fut retrouvé et acquis par la Bibliothèque royale de Belgique qu'en 1958. Cet unique exemplaire a été publié en fac-similé en 1983 avec traduction en français moderne par Léo Moulin.
L'oeuvre est en quatre parties, la première étant destinée aux dames qui se mêlent volontiers de la Cuisine (...) besognant mieux qu'aucuns Cuisiniers (...) ce qui constitue une nouveauté, les cuisiniers importants ayant toujours été des hommes. On y trouve toutes sortes de recettes dont des étrangères, comme les crêpes de Hongrie ou le chapon en potage de Hongrie, et le livre apparait comme le premier recueil de cuisine internationale. C'est aussi le premier à mentionner des recettes de tartoufles, ce qu'un certain nombre d'historiens considèrent comme la pomme de terre. Les légumes sont cependant peu présents et en cela, l'Ouverture de cuisine reste proche de la tradition médiévale. Par contre les herbes aromatiques et condimentaires sont fort diverses et rappellent celles prescrites dans le Capitulaire De Villis ; en témoignent l'omelette aux fines herbes qui fait appel à bien d'autres ingrédients que de nos jours, et l'allumelle à la ténoisie qu'on retrouve aussi dans le Liber cure cocorum.
Page de titre.
Nous avons choisi, pour nos weekends gastronomiques, de classifier les mets pour ne pas trop dépayser nos convives - pour la même raison, nous avons respecté l'usage contemporain des couverts et des assiettes de table.
Les convives, accueillis le 2e weekend de juillet (samedi de 14 à 19:00 et dimanche de 11 à 19:00) reçoivent aussi un petit questionnaire pour leur permettre de se familiariser avec quelques notions simples de la table médiévale… et pour nourrir autant l'esprit que le corps.
Précisons aussi qu'une conférence sur l'histoire du livre de cuisine occidental jusqu'au XXe siècle peut être donnée par nos soins et pour des groupes, soit au musée soit en extérieur.
Le Quiz culinaire médiéval
Au Moyen Âge... | Si vous ne trouvez pas la réponse, cliquez à gauche dans la cellule colorée et faites glisser la souris vers la droite ! |
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? De préférence en début de repas. À la fin, ils étaient proposés en compotes. |
Les épices servaient-elles à masquer le gout des viandes faisandées ? |
? Non, elles coutaient bien trop cher ! Elles ne figuraient qu’à la table des gens aisés. D’autre part, le gout de la viande faisandée était apprécié par certains (davantage en France qu’en Angleterre) comme il l’est encore chez les Inuits par exemple. |
Mangeait-on plus volontiers des légumes-racines ou des volatiles ? |
? Des volatiles. Car les racines poussent dans la terre (domaine du diable). Mais les pauvres gens, eux, mangeaient tout ce qui était mangeable et à leur portée. |
Mangeait-on du dindon, des tomates, des pommes de terre, de la mayonnaise, du ketchup ? |
? Tomate : NON - origine Amérique du Sud / arrivée en Europe au 16e siècle, dite « pomme d'amour » ou « pomme d'or » avant 1835. Pomme de terre : NON - origine Chili 12 000 ans av. J-C. / première utilisation connue en Europe : Le 12 décembre 1557, la pomme de terre bouillie est au menu du banquet organisé par Lancelot de Casteau pour le prince-évêque de Liège, Robert de Berghes. Dindon (mâle) et dinde (femelle) : OUI - origine : Mésoamérique (Mexique) / arrivé en Europe au 15e siècle, dite « poule d’Inde » Mayonnaise : NON - 18e siècle Ketchup (pas à la tomate mais au poisson ! composé de champignons, brou de noix pilé, purée d'anchois, thym, muscade, laurier, piment et glace de viande) : NON - 19e siècle |
Quelle était la seule différence importante entre les repas des bourgeois et ceux des nobles ? |
? Les principaux services étaient entrecoupés par des entremets chez les nobles. L’entremet indique au 12e siècle les divertissements et intermèdes qui interviennent entre les mets, dans l'intervalle des repas. Dès le 13e siècle, il désigne le mets d'accompagnement servi entre les mets principaux. À partir du 17e siècle, il désigne la série de plats servis après le rôti et mangés après lui, avant le dessert. La première édition du Dictionnaire de l'Académie française précise en 1694 : « ce qui se sert sur table après le rosti & avant le fruit; ce qui est ordinairement composé de ragousts. » Au 19e siècle, il est servi avec le rôti et constitue le second service. Émile Littré précise « pâtisseries, œufs, fritures, salades, etc. Il y avait huit entremets. » |
Le Moyen Âge commence-t-il au VIe ou au VIIe s. et se termine-t-il au XVe ou au XVIe s. ? |
? Globalement les historiens s’accordent pour le 6e s. (entre 476 et 512) et le 15e s. (1453 ou 1492) ; les dates sont symboliques (fin de l’empire romain d’occident ou vie de Clovis / chute de Constantinople ou débarquement de Christophe Colomb en Amérique) |
L’expression « Moyen Âge » remonte-t-elle au XVe, au XVIIe, au XVIIIe ou au XIXe s. ? |
? XVe s. : en 1469 (en latin media tempestas) dans la correspondance du premier bibliothécaire du Vatican ( = temps du milieu entre l’époque romaine et l’humanisme du début de la Renaissance). |
Nos chefs
Le choix des mets que nous présentons dépend principalement de Nicole Hanot.
Ils sont réalisés par deux bénévoles de notre association : Michaël Laouni et Laetitia Backaert, Nicole mettant parfois aussi la main à la pâte.
En 2017, Laetitia s'était chargée, notamment, de la confection des raphioules - ce qui ne fut pas de tout repos, selon son propre aveu :
« Pour ce weekend médiéval de juillet 2017 à la Ferme castrale de Hermalle-sous-Huy, nous avons choisi d'explorer une autre recette issue de l'« Ouverture de cuisine » de Lancelot de Casteau : les raphioules. Ce sont des raviolis farcis d'épinards, menthe, parmesan et cannelle, pour citer les principaux ingrédients.
Réaliser une recette ancestrale ne nous interdit pas d'utiliser les ustensiles et techniques actuelles qui nous facilitent la tâche. Cependant un vilain coup du sort me contraindra à renoncer à la plupart de mes gadgets culinaires modernes...
En effet, juste avant de m'atteler à mes diverses préparations, une panne d'électricité dans le quartier viendra modifier mon planning.
Premier constat : pas question de cuire quoi que ce soit, four et plaque de cuisson vitrocéramique ne veulent rien entendre.
Qu'à cela ne tienne, commençons les préparations qui ne demandent pas de cuisson, à savoir la confection de la pâte à raphioules, de la farce et ensuite le façonnage des raphioules.
Second constat : ma cuisine est trop sombre sans éclairage artificiel. J'imagine Lancelot de Casteau dans la cuisine d'une somptueuse forteresse aux fenêtres peu nombreuses et minuscules. Le feu dans l'âtre et quelques torches accrochées aux murs devaient lui fournir l'éclairage nécessaire. Rien de tout cela dans ma cuisine. Il ne me reste qu'une solution : délocaliser la cuisine dans une pièces qui bénéficie de plus de luminosité grâce au soleil. Mon choix s'est porté sur le salon. Mais cela ne se fera pas sans quelques aménagements préalables.
Encore une fois, j'entre dans la peau de Lancelot de Casteau. Jusqu'à son époque, pas de tables en permanence dans les habitations ; il fallait la dresser avec planche et tréteaux chaque fois que le besoin s'en faisait sentir. L'expression « dresser la table » survit encore de nos jours. Mais je m'égare…
Je recule la table du salon, trop basse pour y cuisiner et un fauteuil. Quelques instants plus tard, une table d'appoint viendra remplir cet espace. Le temps d'y poser mes ingrédients et ustensiles, je suis fin prête à travailler.
Troisième constat : mon super robot multifonctions me regarde sournoisement et me rappelle que sans électricité, je devrai me passer de ses précieux services pour pétrir la pâte et mélanger les ingrédients de la farce. Une fois de plus, je me réfère à Lancelot de Casteau : un tel appareil devait certainement relever de la sorcellerie pour lui qui travaillait surtout manuellement. Mon travail sera donc identique au sien : plus musclé, plus long et plus éreintant, sur une table d'appoint dressée pour la circonstance à l'endroit le plus pratique possible.
Une heure pur tard, ma pâte est bien pétri et ma farce est prêt, lorsque l'électricité revient. C'est que je n'en ai pas besoin pour le façonnage final des raphioules. Le laminoir permettant d'obtenir de minces feuilles de pâte fonctionne manuellement. Quelques tours de manivelle, un peu d'adresse et on obtient une superbe feuille de pâte qu'il ne reste qu'à poser dans un moule à raviolis, farcir chaque "alvéole", recouvrir d'une seconde feuille de pâte, souder les feuilles par une pression aux endroits appropriés et enfin couper les raphioules. »
BIBLIOGRAPHIE.
- Constance B. Hieatt et Sharon Butler, Pain, vin et veneison. Un livre de cuisine médiévale, L'Aurore, 1977.
- Lancelot de Casteau, Présentation Herman Liebaers, Translation en français moderne et glossaire Léo Moulin, Commentaires gastronomiques Jacques Kother, Ouverture de cuisine par Lancelot de Casteau, De Schutter, Anvers, 1983 (reprint de l'édition de 1604).
- http://www.oldcook.com
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